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7 février 2012 2 07 /02 /février /2012 14:39
Le Royaume-Uni dans l’Union Européenne : le début de la fin ? par Pauline Schnapper [07-02-2012]

 

La crise des dettes souveraines dans la zone euro a cristallisé entre Londres et ses partenaires de l’UE un conflit enraciné dans l’ambivalence britannique à l’égard du continent. Pressé par les conservateurs les plus eurosceptiques de prendre des mesures radicales, David Cameron pourrait être tenté de faire appel à l’opinion, avec des conséquences négatives pour tous.

 

La décision de David Cameron, au Conseil européen de décembre 2011, de mettre son veto à une réforme du traité de Lisbonne qui permettrait de contrôler plus étroitement les budgets nationaux en réponse à la crise des dettes souveraines de la zone euro a provoqué une crise inédite entre le Royaume-Uni et l’ensemble de ses partenaires européens. Pour la première fois depuis son entrée dans la CEE en 1973, un gouvernement britannique se met délibérément hors jeu en se retirant des négociations. Même Margaret Thatcher, comme n’a pas manqué de le rappeler l’opposition, n’avait jamais quitté la table au plus fort des crises qui l’avaient opposée à ses partenaires européens sur le budget de la CEE ou l’union monétaire [1]. Ce choix est donc difficilement compréhensible, d’autant plus que Londres n’était ni directement concerné, puisqu’il n’est pas membre de la zone euro, ni directement menacé par la régulation des services financiers proposée par Paris et Berlin pour la même raison. Par ailleurs, le rapport Vickers sur le système financier britannique, commandé puis accepté par le gouvernement britannique, préconise une meilleure régulation des banques britanniques en séparant les activités de détail des banques d’investissement et va donc dans le sens d’une telle régulation [2]. La posture du Premier ministre ne peut donc se comprendre que comme un geste politique vis-à-vis des partenaires de l’UE et surtout de son propre parti et de son opinion publique devenue très majoritairement méfiante vis-à-vis de l’UE, pour ne pas dire europhobe. Comment en est-on arrivé là ? Comment expliquer cette ambivalence permanente du Royaume-Uni vis-à-vis de la construction européenne et la réapparition d’un débat outre-Manche sur le bien-fondé du maintien dans l’UE ?

 

 

Une ambivalence ancienne

 

Les réticences du Royaume-Uni à s’engager pleinement dans le projet européen sont anciennes et bien connues, sinon toujours bien comprises. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements qui se sont succédé ont considéré que la Grande-Bretagne, vainqueur de la guerre au même titre que les États-Unis et l’Union Soviétique et grande puissance coloniale, n’était pas dans la même situation politique, économique et morale que ses voisins continentaux et n’avait pas besoin d’entrer dans une coopération étroite avec eux pour assurer son redressement : elle n’avait été ni envahie ni humiliée (en 1940 ou en 1945), elle avait subi moins de pertes matérielles que l’Allemagne et son empire était apparemment intact. Les gouvernements britanniques successifs ont donc soutenu les premiers projets d’intégration au début des années 1950 tels des parrains bienveillants, comme le disait Churchill dans son discours de Zurich en 1946 :

 

La France et l’Allemagne doivent montrer le chemin. La Grande Bretagne, le Commonwealth, la puissante Amérique et, j’en suis convaincu, l’U.R.S.S. doivent être les amis et les parrains de la nouvelle Europe et défendre son droit à exister et à rayonner.

 

Les priorités britanniques étaient ailleurs, dans la relation spéciale avec les États-Unis et le maintien de liens économiques et commerciaux avec les anciennes colonies devenues indépendantes et regroupées dans le Commonwealth. Par ailleurs, la dimension politique du projet fédéral européen, déjà très présente chez les pères fondateurs, posait problème à la classe politique britannique puisqu’elle remettait en question le principe de la souveraineté du Parlement de Westminster, qui est à la base de la Constitution non écrite du pays, en instaurant une entité légale qui lui serait supérieure, le droit européen. Cette question de la souveraineté et de la finalité politique de l’Union est revenue sans cesse dans les débats sur l’Europe depuis les années 1950.

 

Lorsque le gouvernement conservateur de Macmillan décida de poser la candidature du Royaume-Uni à l’entrée dans le Marché commun en 1961, ces réticences n’avaient pas disparu mais l’impératif économique l’avait emporté. La croissance de l’économie britannique était plus faible que celle de ses voisins continentaux, le déclin relatif était désormais clairement visible et l’attrait de la zone de libre-échange que représentait la CEE suffisant pour envisager d’en faire partie. On sait que le Général de Gaulle opposa par deux fois son veto à la candidature britannique, en 1963, puis en 1967 sous le gouvernement travailliste d’Harold Wilson. Ce n’est donc que le 1er janvier 1973 que le Royaume-Uni entra dans la CEE grâce à la persévérance d’un nouveau Premier Ministre europhile, Edward Heath, et la bienveillance de George Pompidou, et qu’elle fut confirmée, en 1975, par un référendum. Mais, à cette date, les règles du jeu internes avaient été fixées sans tenir compte des intérêts britanniques et, surtout, le premier choc pétrolier avait ébranlé toutes les économies européennes. L’entrée dans la CEE n’a donc pas été associée à un renouveau de l’économie britannique comme cela a pu être le cas dans d’autres pays, en France et en Allemagne dans les années 1960 ou en Irlande dans les années 1980, ce qui explique, au moins partiellement, la moindre popularité de l’Europe communautaire au Royaume-Uni depuis les années 1970.

 

L’ambivalence britannique n’a donc pas été levée par l’entrée dans la CEE. Dès 1979, le gouvernement Callaghan refusait de participer au projet de système monétaire européen proposé par Helmut Schmidt et Valéry Giscard d’Estaing en utilisant des arguments que l’on entend encore aujourd’hui outre-Manche à propos de l’euro : la volonté de préserver sa souveraineté nationale en matière monétaire et de conserver la souplesse que procure une politique monétaire nationale (concrètement, la possibilité de recourir à la dévaluation). Le Royaume-Uni s’est donc exclu de l’entreprise qui fut le premier pas vers l’union monétaire.

 

De ce point de vue, l’arrivée de Margaret Thatcher au 10 Downing Street en 1979 a moins marqué une rupture dans les relations Royaume-Uni/Europe qu’on ne le dit parfois. Son nationalisme atlantiste et anti-européen revendiqué doit d’ailleurs être nuancé. On se rappelle son combat pour faire baisser la contribution britannique au budget européen, qui a abouti après d’âpres négociations à la mise en place d’un rabais pour son pays en 1984, encore en vigueur aujourd’hui malgré la réforme de 2005 par laquelle Tony Blair accepta une baisse d’environ 20 % du montant. On connaît aussi son opposition résolue, à la fin des années 1980, aux projets d’union économique et monétaire et d’union politique après la fin de la guerre froide. Elle craignait à la fois les abandons de souveraineté qu’ils entraîneraient et l’imposition par Bruxelles de règlements et de règles édictés par la Commission européenne, instance non démocratique selon elle car non élue, qui étoufferait l’économie britannique et européenne. Le discours qu’elle prononça au collège de Bruges en septembre 1988, où elle défendait une Europe des États et rejetait les projets en cours, reste aujourd’hui encore le texte de référence pour les eurosceptiques britanniques :

 

La meilleure manière de construire une Communauté européenne promise au succès est la coopération active et assumée entre États indépendants souverains. Essayer de supprimer la nation et de concentrer le pouvoir au centre d’un conglomérat européen serait désastreux et mettrait en danger les objectifs que nous cherchons à atteindre... Nous n’avons pas réussi à faire reculer les frontières de l’État en Grande-Bretagne pour qu’on nous les réimpose au niveau européen, par le biais d’un super-État européen exerçant sa domination depuis Bruxelles... Laissons l’Europe être une famille de nations, s’entendant les unes avec les autres, s’appréciant, collaborant davantage, tout en appréciant notre identité nationale au moins autant que notre entreprise collective européenne [3].

 

Mais le radicalisme thatchérien n’était pas dépourvu de pragmatisme. Au milieu des années 1980, elle n’hésita pas à accepter le recours à la majorité qualifiée plutôt qu’à l’unanimité pour la création d’un véritable marché unique, codifié dans l’Acte Unique de 1986. Il s’agissait de promouvoir ce que tous les gouvernements britanniques avaient toujours soutenu : le libre-échange, la liberté de circulation et la dérégulation des services en Europe, même au prix d’un renforcement des institutions communautaires auxquelles elle n’accordait guère de confiance, sauf lorsqu’elles défendaient le néo-libéralisme qui lui était cher.

 

Thatcher fut contrainte à quitter le pouvoir en novembre 1990 par son propre parti, partiellement à cause de son intransigeance sur l’Europe, qui était loin de faire l’unanimité au sein des Conservateurs. Mais la politique suivie par son successeur John Major (1990-1997) ne fut guère différente. Le nouveau Premier Ministre accepta de signer le traité de Maastricht mais à la condition d’obtenir une clause d’exemption de la monnaie unique, clause toujours en vigueur aujourd’hui. Il accepta cependant l’autre volet du traité, la mise en place d’une politique étrangère et de sécurité commune, car celle-ci resterait strictement intergouvernementale et donc soumise à un possible veto britannique.

 

C’est pendant la ratification parlementaire du traité, en 1992-1993 que se cristallisa le premier mouvement eurosceptique d’envergure au sein du parti conservateur depuis les années 1960. John Major, ne disposant que d’une très faible majorité à la Chambre de Communes, devint l’otage d’une minorité active et violemment anti-européenne dont on a retrouvé les échos (et pour certains, la présence) à l’automne 2011 lorsque 80 députés ont imposé un débat et un vote sur l’organisation d’un référendum sur le maintien dans l’UE. Pendant les dernières années de son mandat, Major adopta donc une attitude de plus en plus négative à Bruxelles, refusant la nomination de Jean-Luc Dehaene, ancien Premier Ministre belge, à la présidence de la Commission européenne, et provoquant une crise politique lorsque le bœuf britannique fut interdit d’exportation en raison de la prévalence de la maladie dite de la vache folle outre-Manche. C’est de cette époque aussi que date la radicalisation anti-européenne d’une bonne partie de la presse, qu’elle soit de qualité (Times, Daily Telegraph) ou populaire (Sun, Daily Mail, Daily Express). Il est toujours difficile de mesurer l’impact exact de la presse sur l’opinion publique et les études à ce sujet ne sont pas concluantes, mais on peut avancer que la presse a contribué au climat d’euroscepticisme qui prévaut désormais au Royaume-Uni. La diffusion de la presse écrite est beaucoup plus importante qu’en France (2 millions d’exemplaires quotidiens pour le seul Sun) et, même si les sondages montrent une certaine méfiance des lecteurs/électeurs vis-à-vis de ce qu’ils lisent dans les journaux, la tonalité générale vis-à-vis de l’Europe y est régulièrement défensive, à quelques exceptions près comme The Independent et The Guardian.

 

La culture politique dans laquelle baignent les Britanniques est donc globalement négative à l’égard de l’Europe. Une rupture était attendue avec l’arrivée au pouvoir du New Labour en 1997. Tony Blair avait en effet clairement affirmé, depuis qu’il était leader du parti, sa volonté de rompre avec la marginalisation passée de son pays au sein de l’Union européenne et d’exercer, au contraire, un leadership politique et économique en Europe. Selon lui, son pays pouvait servir de « pont » entre l’Europe et les États-Unis, considérant qu’il n’y avait pas de contradiction mais une complémentarité entre l’identité européenne et l’identité atlantique du Royaume-Uni. Il parvint effectivement à rétablir (ou établir) l’influence britannique dans l’UE dans certains domaines, particulièrement celui de la défense où son accord fut décisif pour lancer, à partir du sommet franco-britannique de Saint-Malo en décembre 1998 la politique européenne de sécurité et de défense. Il joua également un rôle actif dans l’élaboration de la stratégie de Lisbonne, adoptée en 2000 et dans laquelle on retrouve les choix britanniques, hérités de Margaret Thatcher et confirmés par le New Labour, de renforcer l’« employabilité » des travailleurs, la formation tout au long de la vie, mais aussi dans le choix d’une méthode non contraignante, la Méthode ouverte de coordination, pour l’appliquer. Cette approche, purement intergouvernementale, est fondée sur l’idée de bonnes pratiques ou d’émulation entre les politiques sociales des différents gouvernements nationaux (benchmarking).

 

Mais le succès de l’approche blairienne des questions européennes a été limité par un certain nombre de facteurs. Tout d’abord, après avoir manifesté un soutien de principe à l’adoption de l’euro et escompté effectivement faire campagne pour convaincre ses compatriotes de s’y rallier dans un référendum, il renonça finalement à organiser un tel scrutin en raison des mauvais sondages qui prédisaient une défaite et de l’opposition de plus en plus résolue de Gordon Brown, son Chancelier de l’Echiquier, à la monnaie unique à un moment où l’économie britannique semblait bien plus florissante que celles de la zone euro. L’influence du Royaume-Uni dans l’UE s’en est trouvée réduite, même si les gouvernements ont toujours soutenu que le poids de l’économie britannique et de la City en Europe était tel que le pays ne serait pas handicapé en restant hors de la zone euro. Par ailleurs, la crise intra-européenne provoquée par l’invasion de l’Irak en 2003 et les divisions entre d’un côté les pays qui l’ont soutenue, au premier rang desquels le Royaume-Uni, et ceux qui s’y sont opposés ont fortement limité l’ardeur européenne de Blair à partir de cette date. L’échec des référendums sur le traité constitutionnel en France et aux Pays-Bas ainsi que les négociations houleuses de 2005 sur le budget européen ont achevé de le convaincre des limites de l’influence britannique au sein de l’Europe.

 

Le successeur de Blair, Gordon Brown, n’avait pas partagé cet enthousiasme européen depuis 1997. Après dix ans comme Chancelier de l’Echiquier, il semblait avoir pleinement intégré les réticences traditionnelles du Trésor vis-à-vis de l’intégration européenne (à l’inverse d’un Foreign Office traditionnellement plus europhile). Rapidement préoccupé par la crise financière puis économique qui a dominé ses trois années au pouvoir (2007-2010), il négligea l’Europe, selon lui trop préoccupée par les questions institutionnelles internes et insuffisamment préparée aux défis de la mondialisation, qui nécessitait ouverture économique et adaptation des travailleurs.

 

 

Le retour des eurosceptiques

 

 

Le retour des Conservateurs au pouvoir en 2010 laissait augurer de bien plus grandes difficultés avec l’Union européenne, tant le parti – députés et militants – était devenu critique vis-à-vis de la construction européenne sous quatre leaders successifs, William Hague (1997-2001), Iain Duncan Smith (2001-2003), Michael Howard (2003-2005) et David Cameron. Non content de rejeter définitivement l’entrée dans l’Union monétaire, le parti s’était opposé au projet de traité constitutionnel, avait exigé un référendum sur le traité et avait critiqué les avancées du gouvernement sur la défense européenne. Malgré son image modernisatrice dans d’autres domaines, Cameron, une fois élu en 2005, avait confirmé cette orientation en demandant aux députés européens conservateurs de se retirer du Parti Populaire Européen de centre-droit pour créer un nouveau groupe souverainiste au Parlement européen. Il avait aussi promis à ses troupes une renégociation de certaines politiques communautaires, le rapatriement de celles-ci au niveau national, ainsi qu’une loi obligeant tout gouvernement britannique à organiser un référendum en cas de nouveau transfert de pouvoirs à Bruxelles.

 

Cette dérive anti-européenne d’un parti autrefois (dans les années 1960) majoritairement europhile s’explique par une conjonction de facteurs, qui vont de l’héritage thatchérien à la supériorité supposée d’une modèle libéral britannique face aux règles bureaucratiques imposées par la Commission européenne et des pays « étatistes » comme la France. La bureaucratie et le protectionnisme empêcheraient les États-membres de profiter des avantages économiques de la mondialisation, perçue comme une chance et non une menace, à l’inverse de l’Union européenne. Le raisonnement conservateur contre l’euro, répété à longueur de colonnes depuis le début de la crise des dettes souveraines, s’appuie en outre sur l’idée qu’une union monétaire ne peut se faire sans union fiscale, donc sans union politique, et que celles-ci sont par nature inacceptables puisqu’elles remettent en question la souveraineté des Parlements nationaux et donc l’existence même de la nation. Il s’appuie enfin sur une opinion publique devenue de plus en plus hostile à l’UE en général, notamment à la suite de la vague d’immigration en provenance de l’ex-Europe de l’Est depuis l’élargissement de 2004. Dans l’esprit de beaucoup de Britanniques, l’UE est responsable de l’ouverture des frontières, que le gouvernement britannique a permis dès 2004, alors que la France et l’Allemagne ont ménagé une période de transition, qui a été suivie d’un afflux de travailleurs est-européens. Les Polonais, Tchèques et autres Européens de l’Est sont souvent perçus comme responsables des baisses de salaire et des pénuries de logement, de places d’écoles et d’hôpitaux – thème dont l’extrême-droite se repaît et que le parti conservateur lui-même avait exploité pendant les campagnes électorales de 2005 et 2010.

 

L’absence de majorité absolue pour le parti conservateur aux élections de 2010 et la nécessité de former une coalition avec le parti libéral-démocrate ont cependant introduit une nouvelle inconnue sur la politique européenne à suivre, les Libéraux ayant toujours été plus favorables à la construction européenne que les autres partis outre-Manche. La tonalité des programmes électoraux et de leurs discours sur l’Europe était beaucoup plus positive, même si leur enthousiasme pour l’euro s’était émoussé depuis que Nick Clegg avait été élu à la tête du parti. Un compromis entre des positions très éloignées au départ était donc nécessaire.

 

Pendant la première année de la coalition, des signaux contradictoires ont été envoyés aux partenaires européens. D’un côté, William Hague, le Secrétaire au Foreign Office, a confirmé l’orientation restrictive de son gouvernement en présentant un projet de loi, le European Union Bill, qui imposait l’organisation d’un référendum pour tout transfert substantiel de pouvoirs ou de compétences de Londres à Bruxelles et incluait une clause qui réaffirmait la souveraineté ultime du Parlement de Westminster. Cette loi, très critiquée par l’opposition (et même, ironie du sort, par la frange la plus eurosceptique du parti conservateur, qu’elle avait pourtant pour objectif de rassurer, car elle n’offrait pas selon eux de garanties suffisantes) a été finalement adoptée à l’été 2011. De l’autre, les représentants du gouvernement britannique à Bruxelles se sont voulus accommodants sur certains sujets, comme le service européen d’action extérieure, l’embryon de diplomatie mis en place par le traité de Lisbonne qu’ils avaient abondamment critiqué dans l’opposition, ou encore la coopération en matière judiciaire. Sur le budget européen pour 2012, le gouvernement, mis en minorité au Conseil européen, avait accepté une hausse de 2,9 % alors qu’il avait fait campagne pour son gel.

 

Mais c’est sur la question de la réponse à apporter à la crise des dettes souveraines dans la zone euro que le conflit entre Londres et ses partenaires de l’UE s’est cristallisé. Dans un premier temps, le gouvernement a pris soin de rester en retrait des débats internes à la zone euro et de limiter au maximum son engagement financier. D’un point de vue économique, le calcul pouvait paraître étrange, puisque le Royaume-Uni a autant intérêt à ce que la crise de l’euro soit résolue que les pays qui ont adopté la monnaie unique en raison de l’interdépendance des économies européennes. Mais, politiquement, notamment vis-à-vis de leur propre parti, il était impossible à Cameron et Hague de s’engager ouvertement dans l’aide à la zone euro. Ainsi, si le gouvernement a participé indirectement au premier plan d’aide à la Grèce en juin 2010 par l’intermédiaire de sa contribution au FMI, il a dénoncé la participation britannique au premier fonds européen de stabilité financière signé par le précédent gouvernement. Il a apporté une aide à l’Irlande à l’automne 2010, mais au nom de la coopération bilatérale et des liens traditionnels entre les deux pays, non par solidarité européenne. Il n’a eu de cesse ensuite de répéter qu’il n’y aurait plus de participation britannique au sauvetage de l’euro.

 

Cette attitude s’explique par le fait qu’en 2011, la frange la plus anti-européenne des députés conservateurs (80 environ sur 306), a retrouvé de la voix et s’est organisée au Parlement. Dans un premier temps, leur objectif était de mettre le gouvernement sous pression afin qu’il profite de la crise dans la zone euro pour négocier le rapatriement de certaines politiques européennes, notamment la politique de la pêche, dont l’enjeu est particulièrement important dans le sud-ouest de l’Angleterre et en Ecosse, et la politique sociale. Au congrès annuel du parti, début octobre, les eurosceptiques annoncèrent leur intention de déposer une motion demandant au gouvernement d’organiser un référendum sur le maintien dans l’UE, qui faisait suite à une pétition électronique qui avait obtenu plus de cent mille signatures. Cette proposition fut immédiatement rejetée par Cameron et Hague, qui expliquèrent qu’il s’agissait de réformer l’Union, non de la quitter [4]. Mais la pression sur le gouvernement ne se relâcha pas, et le 24 octobre, un débat suivi d’un vote eut lieu à la Chambre des Communes. Malgré l’opposition du gouvernement, 81 députés du parti (ainsi que 15 députés travaillistes et un libéral démocrate) votèrent pour la proposition, soit une rébellion bien plus importante que celle qu’avait dû affronter John Major lors de la ratification du traité de Maastricht en 1993.

 

Le Conseil européen de décembre s’est donc tenu dans ce contexte politique intérieur tendu. La France et l’Allemagne souhaitaient ouvrir de nouvelles négociations d’ici mars 2012 pour modifier le traité de Lisbonne afin de renforcer la discipline budgétaire des membres de la zone euro et donner naissance à une union économique : le pacte de stabilité renforcé ne pourrait plus être violé comme il l’avait été en 2003 (par la France et l’Allemagne, rappelons-le) et les sanctions financières en cas de dérapage des dépenses publiques seraient quasi-automatiques. La position de Cameron au Conseil fut d’exiger en échange de son accord des garanties que la régulation des services financiers en Europe envisagée n’affecterait pas la City de Londres. Cette position, qui n’avait pas été négociée avant le sommet avec les pays qui auraient pu la partager et surtout pas avec l’Allemagne, acteur essentiel de la résolution de la crise, a été rejetée non seulement par les membres de la zone euro mais aussi par la plupart des autres, aboutissant à un accord dit à 17-plus excluant le Royaume-Uni. Le veto de David Cameron a réjoui les eurosceptiques et lui a permis de profiter d’un regain de popularité dans les sondages, mais il inquiète les libéraux-démocrates et a été critiqué par l’opposition travailliste. Il est surtout lourd de danger pour la position britannique au sein de l’Union.

 

Quel avenir ?

 

 

Deux scénarios semblent à présent envisageables. Le plus optimiste verrait David Cameron, ayant désormais consolidé sa légitimité eurosceptique sur la scène politique intérieure, adopter une position plus conciliante à l’égard de l’Europe. À court terme, cela pourrait permettre aux 26 autres États-membres d’utiliser les ressources de l’UE pour appliquer la réforme adoptée d’ici mars et, au-delà, réintroduire le Royaume-Uni dans les discussions concernant la gouvernance économique de l’euro. Plus généralement, il reviendrait aux positions traditionnellement défendues par les précédents gouvernements britanniques sur le budget européen, le marché unique ou les réformes économiques tout en recherchant des alliés dans l’Union au cas par cas. Sans être forcément enthousiasmante pour ses voisins, cette position serait au moins cohérente et pragmatique, et empêcherait une marginalisation croissante de la diplomatie britannique.

 

L’autre scénario, plus pessimiste, verrait dans l’incident de décembre 2011 la première étape vers une rupture progressive entre Londres et l’UE, où le Premier Ministre multiplierait les exigences inacceptables pour ses partenaires, comme la renationalisation de politiques communautaires, puis se tournerait vers son électorat pour lui demander de décider s’il souhaite rester dans une Union européenne qui refuse de tenir compte des intérêts nationaux britanniques. Au vu des sondages, un tel référendum aurait de grandes chances d’aboutir à un résultat négatif, qui conduirait à un retrait de l’UE. Ce n’est pas ce que souhaite le gouvernement actuel, comme l’a souligné David Cameron au Parlement après le Conseil européen. Mais il pourrait être amené nolens volens à une telle situation sous la pression des députés conservateurs et de la presse eurosceptique s’il ne négocie pas avec plus de subtilité, en faisant preuve de souplesse et en cherchant des alliances à Bruxelles. Un tel scénario n’aurait rien de bénéfique ni pour les intérêts économiques et politiques fondamentaux du Royaume-Uni, qui ne résident certainement pas dans un « splendide isolement », ni pour l’Union européenne dans son ensemble qui serait affaiblie par le retrait de la septième puissance économique mondiale et principale puissance militaire européenne avec la France.

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